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Les Psaumes

Introduction

Le livre des Psaumes est composé de cent cinquante cantiques dont nous n’avons plus la musique originelle. Il n’est pas à proprement parler un livre mais un ensemble de recueils de textes que l’on qualifie de prières. Le terme de prière étant à prendre dans un sens large, il englobe toute parole de l’homme adressée à Dieu, paroles qui expriment les sentiments éprouvés sur son chemin personnel ou collectif : sentiments d’abandon, de souffrance, de plainte, d’humiliation, d’incompréhension, de doute, mais aussi de joie, d’émerveillement, de remerciement, de reconnaissance, de louange, avec parfois un rappel historique des bienfaits du passé qui confortent le psalmiste dans sa foi. 

Les psaumes ne sont pas des prières très « spiritualistes », ce ne sont pas toujours de belles paroles pieuses qui nous élèvent dans un monde sublimé. Les images utilisées sont celles de la nourriture, du corps, de la maladie, de la terre, de la guerre plus que celles éthérées venant du ciel. S’il y a bien des psaumes de contemplation des merveilles de la création ou des remerciements pour les bienfaits reçus, ils expriment aussi des sentiments a priori moins nobles, peurs, colères, désirs de vengeance, que le psalmiste confie à Dieu.

 

Le psalmiste ne cache pas ses sentiments, il les exprime avec confiance. Et ses paroles  opèrent dans son cœur des transformations mystérieuses.
Comment comprendre dans de nombreux psaumes, le passage brutal sans motif apparent, de la récrimination à la louange, du doute à la confiance ? 

Les paroles de l’homme à Dieu deviennent le canal par lequel l’esprit de Dieu pénètre le cœur de l’homme et lui transmet sa force, sa promesse de vie: elles le métamorphosent.

De la crainte de Yhwh naît un sentiment de sécurité, au cœur de la souffrance émerge la joie, du fond des épreuves jaillit la lumière.  

 

Quelles sont les origines de ces psaumes ?
Plusieurs psaumes portent un en-tête : « Psaume de David. » Cet en-tête a contribué à la légende selon laquelle le roi David était l’auteur de tous les psaumes; telle était la croyance à l’époque de Jésus. C’est pourquoi les auteurs du Nouveau Testament, lorsqu’ils citent un psaume, disent souvent : « Comme David l’a dit… » (Mt 23,43). Mais l’affectation de tous les psaumes à David est impossible, car plusieurs psaumes parlent du Temple de Jérusalem qui ne fût construit qu’après la mort de David. De même, d’autres psaumes parlent de l’exil, un événement postérieur de quatre siècles au temps de David. Cette affectation de psaumes à David est symbolique et s’explique. Ses qualités de poète et musicien, son histoire personnelle, de juste persécuté, de pécheur repenti, porteur de l’espérance messianique ont fait de lui le prototype du psalmiste. 

 

Si certains psaumes peuvent remonter effectivement à l’époque de David, ils furent plus probablement composés en Palestine au fil des siècles qui ont suivi. Ce sont des textes très 

vivants qui ont été repris, retravaillés en fonction d’un vécu spécifique à chaque époque. Les droits d’auteur n’existaient pas, aussi l’origine de chacun de ces psaumes est perdue dans la brume des temps. 

 

Ils ont été rassemblés en plusieurs recueils plus ou moins longs environ trois cents ans avant Jésus-Christ. Puis ces recueils ont été colligés en un seul volume appelé « Livre des Louanges » dans sa version hébraïque et « Livre des Psaumes » dans la version grecque de la Septante. Si ces deux versions partent des mêmes recueils, l’assemblage de chacun de ces textes diffère, ce qui explique la double numérotation, hébraïque et grecque, dans nos Bibles. Un tableau de correspondance entre ces deux numérotations est donné en annexe. 

Types de psaumes

On peut tenter un peu arbitrairement de les classer par type, selon le thème le plus central de chacun d’eux, sachant que beaucoup de psaumes peuvent relever de plusieurs types différents. 

1. Les supplications individuelles

Ce sont les psaumes les plus nombreux, psaumes de plainte, de lamentation, d’appel à l’aide de la part de celui qui subit des paroles malveillantes, des calomnies, des médisances, des menaces de mort, émanant de plus puissants qu’elle. Le psalmiste en appelle à la justice de Dieu.

Yhwh, tends l’oreille, réponds-moi, 

car je suis un malheureux et un pauvre.
Garde-moi en vie, car je suis fidèle. 

Toi mon Dieu, sauve ton serviteur 

qui compte sur toi (Ps 86,1-2).

 

La souffrance est encore plus douloureuse quand les attaques viennent de proches. 

Tu as éloigné de moi mes intimes ; 

à leurs yeux, tu as fait de moi une horreur.
Enfermé, je n’ai pas d’issue (Ps 88,9).

 

Ces malheurs sont parfois associés chez le psalmiste à la reconnaissance de fautes personnelles, ses appels à l’aide sont alors couplés à une demande de pardon.

Devant mes péchés, détourne-toi, 

toutes mes fautes, efface-les. 

Crée pour moi un cœur pur, Dieu ; 

enracine en moi un esprit tout neuf (Ps 51,11-12).

Des profondeurs je t’appelle, Yhwh : 

Seigneur, entends ma voix ; 

que tes oreilles soient attentives 

à ma voix suppliante ! 

Si tu retiens les fautes, Yhwh ! 

Seigneur, qui subsistera?  

Mais tu disposes du pardon 

et l’on te craindra. 

J’attends Yhwh, 

j’attends de toute mon âme 

et j’espère en sa parole. 

Mon âme désire le Seigneur (Ps 130,1-6a). 

 

Mais souvent le psalmiste revendique son innocence et en appelle directement à la justiceJuge-moi, Yhwh, 

selon ma justice et mon innocence (Ps 7,9).

Justice, Yhwh! Ecoute, 

sois attentif à ma plainte ; 

prête l’oreille à ma prière 

qui ne vient pas de lèvres trompeuses. 

Que mon jugement ressorte de ta face, 

que tes yeux voient où est le droit ! 

Tu as examiné mon cœur ; la nuit, tu as enquêté ; 

tu m’as soumis à l’épreuve, tu n’as rien trouvé (Ps 17,1-3a).
Rends-moi justice, Yhwh, 

car ma conduite est intègre (Ps 26).

Il manifeste alors son incompréhension.
Yhwh, Pourquoi rester éloigné 

et te cacher dans les temps de détresse ? 

L’arrogance de l’impie consume les malheureux (Ps 10,1-2a).

Aussi l’impie se loue d’avoir atteint son but ; 

ayant gagné, il bénit – non, il nargue – Yhwh (Ps 10,3).

 

Cette incompréhension peut porter le psalmiste jusqu’à prendre Yhwh à partie.

C’est à cause de toi qu’on nous tue tous les jours, 

qu’on nous traite en agneaux d’abattoir ! 

Réveille-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? 

Sors de ton sommeil, ne rejette pas sans fin ! 

Pourquoi caches-tu ta face 

et oublies-tu notre malheur et notre oppression ? 

Car notre gorge traîne dans la poussière, 

notre ventre est cloué au sol. 

Lève-toi ! A l’aide ! 

Rachète-nous au nom de ta fidélité (Ps 44,23-27).

Ou alors il exprime un sentiment de résignation face à la vanité de la vie. 
Voici, tu as donné à mes jours une largeur de main, 

et ma durée n’est presque rien devant toi. 

Oui, tout homme solide n’est que du vent ! 

Oui, l’homme va et vient comme un reflet ! 

Oui, son agitation, c’est du vent (Ps 39,6-7).

 

Mais le plus souvent, il exprime une grande impatience. 

Jusqu’à quand, Yhwh ? M’oublieras-tu toujours ? 

Jusqu’à quand me cacheras-tu ta face ? 

Jusqu’à quand me mettrai-je en souci, 

le chagrin au cœur tout le jour ? 

Jusqu’à quand mon ennemi aura-t-il le dessus ? (Ps 13,2-3)


Peuvent suivre des appels à la vengeance contre ceux qui s’attaquent aux pauvres.

Que ta main, Yhwh, les chasse de l’humanité, 

hors de l’humanité et du monde (Ps 17,14).

Qu’ils aillent à la ruine ceux qui en veulent à ma vie ! 

Qu’ils rentrent dans les profondeurs de la terre ! 

Qu’on les passe au fil de l’épée ! 

Qu’ils soient la part des chacals ! (Ps 63,10-11)

Qu’un autre prenne sa charge, 

que ses fils soient orphelins, 

que sa femme soit veuve, 

que ses fils soient vagabonds et suppliants (Ps 109,8-10a).

Que le crime de leurs lèvres recouvre 

mes assiégeants jusqu’à la tête ! 

Que des braises se déversent sur eux, 

qu’il les précipite dans le feu, 

dans des gouffres d’où ils ne se relèveront pas! (…) 

Je sais que Yhwh fera justice au malheureux, 

qu’il fera droit aux pauvres (Ps 140,10-13).

 

Pour finalement se tourner vers Dieu dans une folle espérance.

Pourquoi te replier, mon âme, 

et gémir sur moi ?

Espère en Dieu ! 

Oui, je le célébrerai encore, 

lui et sa face qui sauve (Ps 42,6).

Je veux dire à Dieu mon rocher : 

« Pourquoi m’as-tu oublié ? 

Pourquoi m’en aller, lugubre

et pressé par l’ennemi ? » (Ps 42,10)

 

Dans certains psaumes, le passage brutal, sans transition apparente, de la plainte à la louange témoigne de la métamorphose intérieure du psalmiste.  

Tu as changé mon deuil en une danse, 

et remplacé mon sac par des habits de fête. 

Aussi, l’âme te chante sans répit. 

Yhwh mon Dieu, je te rendrai grâce toujours (Ps 30,12-13).

Cette mutation personnelle est perçue par le psalmiste comme un miracle de l’action divine.

Pitié, Yhwh! Je suis en détresse : 

le chagrin me ronge les yeux, 

la gorge et le ventre. 

Ma vie s’achève dans la tristesse, 

mes années dans les gémissements. (…)

On m’oublie, tel un mort effacé des mémoires, 

je ne suis plus qu’un débris (Ps 31,10-13).
Puis un peu plus loin:
Béni soit Yhwh, 

car sa fidélité a fait pour moi un miracle 

dans une ville retranchée. 

Et moi, désemparé, je disais :

« Je suis exclu de ta vue. » 

Mais tu as entendu ma voix suppliante

quand j’ai crié vers toi. (…) 

Soyez forts et prenez courage, 

vous tous qui espérez dans Yhwh (Ps 31,22-25).

 

Mais c’est peut-être le psaume 22, qui synthétise le plus fortement le renversement mystérieux de la plainte en la louange. Le premier verset de ce psaume est connu car il est repris par Jésus sur la croix.
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?
On peut penser que Jésus avait à l’esprit le psaume en entier. 

J’ai beau rugir, mon salut reste loin.

Le jour, j’appelle, et tu ne réponds pas, mon Dieu ;

la nuit, et je ne trouve pas le repos (Ps 22,2-3).
Des chiens me cernent; 

une bande de malfaiteurs m’entoure : 

ils m’ont percé les mains et les pieds. 

Je peux compter tous mes os ; 

des gens me voient, ils me regardent. 

Ils se partagent mes vêtements 

et tirent au sort mes habits. 

Mais toi, Yhwh, ne reste pas si loin ! 

O ma force, à l’aide ! Fais vite ! (Ps 22,17-20)
Jusqu’à la finale.
Tu m’as répondu ! 

Je vais redire ton nom à mes frères 

et te louer en pleine assemblée : 

Vous qui craignez Yhwh, louez-le ! (…) 

Il n’a pas rejeté ni réprouvé un malheureux dans la misère ; 

il ne lui a pas caché sa face ; 

il a écouté quand il criait vers lui (Ps 22,22b-25).

2. Les supplications collectives 

La prière n’est pas qu’une affaire personnelle, tout le peuple d’Israël est touché par les malheurs et au-delà c’est l’humanité entière qui est en danger face au mal.

Dans ces psaumes, c’est tout un peuple, attaqué, exilé, démembré  qui s’adresse à Dieu. On retrouve dans ces prières collectives  les mêmes composantes que dans  la prière individuelle.

Les plaintes.

C’est à cause de toi qu’on nous tue tous les jours, 

qu’on nous traite en agneaux d’abattoir !
Réveille-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur? 

Sors de ton sommeil, ne rejette pas sans fin !
Pourquoi caches-tu ta face 

et oublies-tu notre malheur et notre oppression? (Ps 44,23-25)

 

Des sentiments d’incompréhension et d’inquiétude.

Lève-toi, Dieu ! Défends ta cause ! 

Rappelle-toi le blasphème continuel de ces fous (Ps 74,22).

Yhwh, Dieu de l’univers, 

Tu fais de nous la querelle de nos voisins, 

et nos ennemis ont de quoi rire (Ps 80, 5-7).

 

Des appels à une intervention divine.
Lève-toi, juge de la terre, 

rends leur dû aux orgueilleux. 

Pour combien de temps, Yhwh, ces impies ? 

Combien de temps les impies vont-ils triompher ? 

Ils fanfaronnent, ils disent des insolences, 

ils se vantent, tous ces malfaisants. 

Ils écrasent ton peuple, Yhwh! 

Ils humilient ton patrimoine ; 

ils massacrent la veuve et l’immigré, 

ils assassinent les orphelins (Ps 94,2-6).

 

Ainsi que des appels à la vengeance.

A peine conçus, les méchants sont dévoyés, 

les menteurs divaguent dès leur naissance.

Ils ont un venin pareil au venin du serpent; (…)

Dieu ! casse-leur les dents dans la gueule ; 

Yhwh, démolis les crocs de ces lions (Ps 58,4-7).

 Mon Dieu, fais-les tourbillonner 

comme de la paille en plein vent. 

Tel un feu qui dévore la forêt, 

telle une flamme qui embrase les montagnes, 

poursuis-les de ta bourrasque, 

épouvante-les par ton ouragan (Ps 83,14-16).

 

On trouve aussi des psaumes emprunts de la nostalgie de Jérusalem. 

Là-bas, au bord des fleuves de Babylone, 

nous restions assis tout éplorés 

en pensant à Sion. (…)

Comment chanter un chant de Yhwh 

en terre étrangère ?  

Si je t’oublie, Jérusalem, 

que ma droite oublie … !  

Que ma langue colle à mon palais 

si je ne pense plus à toi, 

si je ne fais passer Jérusalem 

avant toute autre joie (Ps 137,1-6 ).

Avec une finale peu « évangélique » !

Fille de Babylone, promise au ravage, 

heureux qui te traitera 

comme tu nous as traités ! 

Heureux qui saisira tes nourrissons 

pour les broyer sur le roc (Ps 137,8-9). 

3. Les chants de confiance 

Je garde sans cesse Yhwh devant moi, 

comme il est à ma droite, je suis inébranlable (Ps 16,8).

Cette confiance le psalmiste l’illustre souvent en utilisant l’image du sommeil.

Je me suis couché et j’ai dormi ; 

je me suis réveillé : Yhwh est mon appui. (Ps 3,6).

Pareillement comblé, je me couche et m’endors, 

car toi seul, Yhwh, me fais demeurer en sécurité (Ps 4,9).

Si Yhwh ne bâtit la maison, 

ses bâtisseurs travaillent pour rien. 

Si Yhwh ne garde la ville, 

la garde veille pour rien. 

Rien ne sert de vous lever tôt, 

de retarder votre repos, 

de manger un pain pétri de peines ! 

A son ami qui dort, il donnera tout autant (Ps 127,1-2).

4. Les chants de reconnaissance et d’action de grâce

Que ce soit pour des bienfaits personnels  

Je t’exalte, Yhwh, car tu m’as repêché; 

tu n’as pas réjoui mes ennemis à mes dépens. 

Yhwh  mon Dieu, 

j’ai crié vers toi, et tu m’as guéri ; 

Yhwh, tu m’as fait remonter des enfers, 

tu m’as fait revivre quand je tombais dans la fosse (Ps 30,2-4).

Ou collectifs

Yhwh, tu as exaucé le désir des humbles, 

tu rassures leur cœur, tu prêtes une oreille attentive, 

pour faire droit à l’orphelin et à l’opprimé 

et plus un mortel sur terre ne se fera tyran (Ps 10,17-18).

5. Les chants d’instruction ou de sagesse 

Certains psaumes sont tournés vers l’enseignement et l’exhortation morale, ils se rapprochent des écrits de sagesse.
Heureux l’homme qui ne prend pas le parti des méchants, 

ne s’arrête pas sur le chemin des pécheurs 

et ne s’assied pas au banc des moqueurs, 

mais qui se plaît à la loi de Yhwh 

la méditant jour et nuit (Ps 1,1-2).

 

Le psaume 8 aborde une question anthropologique fondamentale: qu’est-ce que l’homme ? Quelle est sa place dans la création ?
Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts, 

la lune et les étoiles que tu as fixées,  

qu’est donc l’homme pour que tu penses à lui, 

l’être humain pour que tu t’en soucies ? 

Tu en as presque fait un dieu : 

tu le couronnes de gloire et d’éclat ; 

tu le fais régner sur les œuvres de tes mains (Ps 8,4-7a).

 

Oui, l’homme va et vient comme un reflet ! 

Oui, son agitation, c’est du vent. 

Il entasse, et ne sait qui ramassera (Ps 39,7).

Oui, devant ta fureur s’effacent tous nos jours ; 

le temps d’un soupir, nous avons achevé nos années : 

Soixante-dix ans, c’est parfois la durée de notre vie, 

quatre-vingts, si elle est vigoureuse, 

et son agitation n’est que peine et misère ; 

c’est vite passé, et nous nous envolons (Ps 90,9-10).

 

D’autres psaumes tirent les leçons de l’histoire d’Israël

O mon peuple, écoute ma loi, 

tends l’oreille aux paroles de ma bouche. 

Je vais ouvrir la bouche pour une parabole 

et dégager les leçons du passé (Ps 78,1-2).

Rappelez-vous les miracles qu’il a faits, 

ses prodiges et les jugements sortis de sa bouche, 

vous, race d’Abraham son serviteur, 

vous, fils de Jacob, ses élus (Ps 105,5-6).

 

Face à la réussite des riches qui oppressent les plus faibles, se pose avec angoisse la question de la rétribution promise pour le juste. Les faits ne semblent pas confirmer l’enseignement traditionnel.

Pourtant, j’avais presque perdu pied, 

un rien, et je faisais un faux pas, 

car j’étais jaloux des parvenus, 

je voyais la chance des impies. 

Ils ne se privent de rien jusqu’à leur mort, 

ils ont la panse bien grasse. 

Ils ne partagent pas la peine des gens, 

ils ne sont pas frappés avec les autres. 

Alors, ils plastronnent avec orgueil, 

drapés dans leur violence (Ps 73,2-6).

Puis finalement au regard du psalmiste qui vit dans l’intimité de Yhwh, la réussite des riches paraît futile et éphémère.
J’ai réfléchi pour comprendre 

ce qui m’était pénible à voir, 

jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu, 

et discerne quel serait leur avenir (Ps 73,16-17).

Ne crains plus quand un homme s’enrichit 

et quand la gloire de sa maison grandit. 

Car en mourant, il n’emporte rien, 

et sa gloire ne descend pas avec lui (Ps 49,17-18).

 

Le psaume 119, le plus long du psautier, est un hymne à la Loi. La Loi, étudiée, méditée avec amour apparaît comme la source de tous les bienfaits, joie, intelligence, réussite, alors même que l’homme traverse de nombreuses épreuves.

A suivre tes exigences, j’ai trouvé la joie 

comme au comble de la fortune (119,14).

Aussi j’aime tes commandements 

plus que l’or, même le plus fin. (…)

Tes exigences sont des merveilles, 

aussi je m’y conforme. 

La découverte de tes paroles illumine, 

elle donne du discernement aux simples. 

La bouche grande ouverte, j’aspire, 

avide de tes commandements (119,127-131).

6. Psaumes du jugement de Dieu

Le jugement de Dieu est réclamé par ceux qui souffrent afin que les arrogants, les menteurs et les violents soient dénoncés et châtiés. 

L’arrogance de l’impie consume les malheureux, 

ils sont pris aux ruses qu’il a combinées. (…) 

Dans sa suffisance, l’impie ne cherche plus : 

« Il n’y a pas de Dieu », voilà toute son astuce. (…)

il crache sur tous ses adversaires. 

Il se dit : « Je suis inébranlable, 

il ne m’arrivera jamais malheur. » 

Sa bouche est pleine de malédiction, 

de tromperie et de violence ; 

il a sous la langue forfait et méfait (Ps 10,2-7).

Leur suffisance les rend aveugles sur eux-mêmes.

L’oracle impie de l’infidèle me vient à l’esprit ; 

à ses yeux, il n’y a pas à trembler devant Dieu. 

Car il se voit d’un œil trop flatteur 

pour trouver sa faute et la détester (Ps 36,2-3). 

Car chez toi est la fontaine de la vie, 

à ta lumière nous voyons la lumière. 

Prolonge ta fidélité pour ceux qui te connaissent 

et ta justice pour les cœurs droits. 

Que l’arrogant ne mette pas le pied chez moi! (Ps 36,10-12a)

En pervertissant la justice, c’est tous les fondamentaux de l’humanité qu’ils minent.

Jusqu’à quand jugerez-vous de travers 

en favorisant les coupables ? 

Soyez des juges pour le faible et l’orphelin, 

rendez justice au malheureux et à l’indigent ;
libérez le faible et le pauvre, 

délivrez-les  de la main des coupables.
Mais ils ne savent pas, ils ne comprennent pas, 

ils se meuvent dans les ténèbres, 

et toutes les assises de la terre sont ébranlées (Ps 82,2-5).

Finalement, le jugement de Dieu est perçu comme une libération pour tous les pauvres de la terre.

Des cieux, tu énonces le verdict ;

terrifiée, la terre se calme, 

quand Dieu se lève pour le jugement, 

pour sauver tous les humbles de la terre (Ps 76,9-10).

7. Les hymnes de louange

Les psaumes qui appartiennent à la famille des louanges ont une dimension liturgique prononcée par la présence d’acclamations (Amen! Alléluia!), de refrains et de dialogues. Une courte introduction festive invite à la joie; on élabore ensuite les motifs d’action de grâces.

Acclamez Yhwh, terre entière ; 

servez Yhwh avec joie ; 

entrez devant lui avec allégresse (Ps 100,1-2).

Bénis Yhwh, ô mon âme, 

que tout mon cœur bénisse son saint nom ! 

Bénis Yhwh, ô mon âme, 

et n’oublie aucune de ses largesses ! 

C’est lui qui pardonne entièrement ta faute 

et guérit tous tes maux (Ps 103,1-3).

La louange est nourrie à la fois de la contemplation de la création et du souvenir des faits du passé.

Alleluia! Louez le nom de Yhwh. 

Louez-le, serviteurs de Yhwh, 

qui vous tenez dans la maison de Yhwh (135,1). 

Du bout de la terre, soulevant les nuées, 

il a fait les éclairs pour qu’il pleuve; 

il tire le vent de ses réservoirs. 

C’est lui qui frappa les aînés d’Egypte (135,7).

C’est lui qui frappa des nations nombreuses, 

et tua des rois puissants (135,10).

 

Dieu se lève, ses ennemis se dispersent

et ses adversaires fuient devant lui.

Comme se dissipe la fumée, tu les dissipes :

comme la cire fond au feu,

les infidèles périssent devant Dieu.

Mais les justes se réjouissent,

ils exultent devant Dieu, au comble de la joie (Ps 68,2-4).

 

8. Les psaumes royaux, messianiques 

Ces psaumes illustrent l’amorce de la métamorphose de la représentation de la royauté.

On sait que dans les cultures entourant Israël, la dignité royale était associée aux dieux. On a vu dans le livre des Juges et de Samuel le désir du peuple de se doter d’un roi comme les autres nations, puis comment certains dénoncent ce désir, y voyant le risque pour le peuple de retomber en esclavage sous la coupe d’un roi qui ne manquera pas d’abuser de son pouvoir et d’aliéner ses sujets. Pourtant l’idée de salut, de victoire restait organiquement liée à la puissance d’un roi alors même que l’histoire des rois d’Israël, qui pour la plupart « ont fait ce qui est mal aux yeux de Yhwh », a conduit le peuple à la catastrophe. Mais les prophètes ont laissé entrevoir une issue avec l’avènement d’un nouveau type de roi, un messie qui apportera la victoire au peuple.

Maintenant je le sais : 

Yhwh donne la victoire à son messie ;

 il lui répond de son sanctuaire céleste, 

par les prouesses victorieuses de sa droite (Ps 20,7).

 

Ce messie défendra le pauvre et l’orphelin contre les exploiteurs. 

Dieu, confie tes jugements au roi, 

ta justice à ce fils de roi. 

Qu’il gouverne ton peuple avec justice, 

et tes humbles selon le droit. 

Grâce à la justice, que montagnes et collines 

portent la prospérité pour le peuple ! 

Qu’il fasse droit aux humbles du peuple, 

qu’il soit le salut des pauvres, 

qu’il écrase l’exploiteur (Ps 72,1-4).

 

Cette royauté divine qui s’exerce à la fois sur le cosmos et sur tous les habitants de la terre est célébrée par un « chant nouveau » (Ps 96, 97, 98, 99). 

Chantez à Yhwh un chant nouveau,

chantez à Yhwh , terre entière ;

chantez à Yhwh, bénissez son nom ! (Ps 96,1-2).

Que les cieux se réjouissent, que la terre exulte, 

et que grondent la mer et ses richesses ! 

Que la campagne tout entière soit en fête, 

que tous les arbres des forêts crient alors de joie, 

devant Yhwh, car il vient, 

car il vient pour gouverner la terre. 

Il gouvernera le monde avec justice 

et les peuples selon sa loyauté (Ps 96,11-13).

 

La célébration de la royauté dans des psaumes annonce l’expression « Royaume des cieux » qui sera développé dans les évangiles, tout particulièrement dans celui de Matthieu (Mt 5). 

A côté de l’idée de royauté, l’autre pilier d’Israël est le Temple, la demeure de Dieu.

Le psalmiste manifeste son désir d’entrer dans le Temple en utilisant l’image de la montagne de Sion, qui symbolise la cité céleste, la nouvelle Jérusalem. Cette aspiration à monter et à demeurer dans le Temple est l’objet des psaumes regroupés sous le nom de Cantiques de Sion. 

Ta droite est pleine de justice ; 

la montagne de Sion se réjouit, 

les villes de Juda exultent 

à cause de tes jugements. (Ps 48,11b-13a).

Rappelle-toi la communauté que tu acquis dès l’origine, 

la tribu que tu revendiquas pour patrimoine, 

la montagne de Sion où tu fis ta demeure (Ps 74,2).

Yhwh a fondé Sion sur les montagnes saintes, 

il en aime les portes 

plus que toutes les demeures de Jacob. 

On fait sur toi des récits de gloire, 

ville de Dieu ! (…) 

Mais on peut dire de Sion : 

« En elle, tout homme est né, 

et c’est le Très-Haut qui la consolide !  » (Ps 87,1-5)

 

Le psalmiste aspire à demeurer dans la maison de Dieu, lieu de rassemblement de tout le peuple, pour y trouver repos et sécurité.
Comme elles sont aimées, tes demeures, 

Yhwh de l’univers ! 

Je languis à rendre l’âme 

après les parvis de Yhwh. (…)

Le moineau lui-même trouve une maison, 

et l’hirondelle un nid pour mettre sa couvée, 

près de tes autels, Yhwh de l’univers, 

mon roi et mon Dieu. 

Heureux les habitants de ta maison: 

ils te louent sans cesse (Ps 84,2-5).

Place des psaumes dans l’histoire du judaïsme et du christianisme

Les psaumes tiennent naturellement une grande place dans le judaïsme et sa liturgie. Son importance dans le christianisme n’est pas moindre, ils sont souvent associés dans la liturgie à la lecture des Evangiles. 

Dès la naissance du christianisme, on voit, dans les actes des Apôtres, les disciples s’appuyer sur la dimension prophétique des psaumes pour orienter leur choix (Ac 1,20; 13,32) et l’apôtre Paul exhortera les premières communautés chrétiennes à prier avec les psaumes. 

Dites ensemble des psaumes, des hymnes et des chants inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur (Eph 5,19).

Chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance, par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés par l’Esprit (Col 3,16).

Au 6é siècle ap. J.-C., Benoit de Nursie, Saint Benoit, fondateur de l’ordre des bénédictins, institue dans sa règle pour les monastères, la liturgie des heures où, sept fois par jour (Ps 119,164), les moines se rassemblent pour prier. Le chant des psaumes constitue le cœur des sept offices. Les 150 psaumes sont traditionnellement répartis sur une semaine dans un livre liturgique appelé “antiphonaire”, qui outre les psaumes comprenait les hymnes et des antiennes chantées par toute la communauté. Avec la création des ordres mendiants itinérants, au 13è siècle, les psaumes ne pouvaient plus être toujours chantés en communauté, ainsi naquirent petit à petit des éditions plus légères plus adaptées que les antiphonaires à la prière individuelle non chantée, les « bréviaires ».

Chez les protestants, pour rendre ces prières accessibles à tous, de nombreuses éditions associaient dans un même petit livret, les psaumes et les évangiles.

On peut juger de la puissance poétique et spirituelle de ces textes et de leur dimension universelle par le fait qu’ils ont été sources d’inspiration pour de nombreux artistes-compositeurs de toutes les cultures et de toutes les époques (par exemple le groupe musical formé en 2015, MIQUEDEM, qui chante en hébreu tous les psaumes). 

Importance des psaumes dans l’évolution de la perception du sacré.

Dans le sacré « primitif », la prière est fondamentalement collective, elle est associée aux sacrifices dont on a vu que la fonction inconsciente était de canaliser la violence du groupe et la fonction consciente, d’attirer la bienveillance des dieux. 

Dans la Bible, à partir du moment  où Yhwh fait alliance, qu’il se manifeste à des individus particuliers, la prière devient progressivement beaucoup plus personnelle et surtout elle rend Dieu questionnable. 

 

L’écoute de la Parole au travers de la Loi ou des Prophètes, se prolonge dans les psaumes par un dialogue avec Dieu, où l’homme peut exprimer librement, sans honte, tous ses sentiments. C’est désormais la prière nourrie par l’étude de la Parole et la quête d’intelligence des choses et des évènements qui reliera les hommes (religion= relier) entre eux et se substituera à terme au sacrifice qui jusqu’alors avait l’exclusivité de l’expression religieuse (sacrifice= sacer fecit, faire du sacré). On entre par-là dans une ère tout à fait nouvelle de la notion même de sacré.

 

Des psaumes condamnent la croyance populaire dans l’efficacité automatique des sacrifices et prônent un type d’offrande à Dieu bien différent.

Tu n’aimerais pas que j’offre un sacrifice, 

tu n’accepterais pas d’holocauste. 

Le sacrifice voulu par Dieu, c’est un esprit brisé ; 

Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé (Ps 51,18-19).

Renversement de la perception de la puissance du divin

Une autre évolution émerge de toutes ces prières.

Dans la représentation courante, Dieu est le “Tout-Puissant” qui impose le bien et punit le mal. Dieu est en quelque sorte l’accusateur de l’homme pécheur. 

Dans le livre de la Genèse, au jardin d’Eden, le serpent veut apparaitre comme le défenseur de l’homme et de ses désirs pour contrer la toute-puissance de Dieu qui s’impose à l’homme. 

Or dans les psaumes, à la suite des prophètes, Yhwh apparaît, non comme un accusateur, mais comme le défenseur des pauvres et des opprimés. L’accusateur de l’homme est plutôt celui qui, en se drapant dans le droit, n’hésite pas à manipuler la justice pour écraser les plus faibles. Dans le livre de Job, “Accusateur” est le nom propre de Satan.
La perception des belligérants du combat du bien contre le mal, accusateur vs défenseur, tend alors à s’inverser, c’est l’accusateur de l’homme qui incarne le mal, et Dieu en est son défenseur. L’accusateur cherche le jugement, la condamnation et finalement la mort de l’accusé, alors que le défenseur cherche à ce que le pécheur échappe au jugement et garde la vie. 

Il y a là une vérité anthropologique universelle qui se cache derrière les situations personnelles du psalmiste. Se positionner en accusateur revient à s’approprier le droit de juger, c’est ignorer son propre péché et c’est ignorer la possibilité du pardon divin. L’accusateur s’habille du bien et sous couvert de la défense de la morale, de la vertu et même parfois de la parole de Dieu, a pour objectif inavoué la mort de son adversaire. 

Le défenseur lui, malgré les fautes potentielles de l’accusé, le soutient, lui pardonne et projette la lumière sur les réels motifs de l’accusateur. 

 

Dans les psaumes, Yhwh apparaît comme le défenseur par excellence, car en lui est la vie (Jn 1,4). Un nouvel espace s’ouvre à l’homme par la défense du plus faible, par le pardon, alors que la simple quête de perfection morale enferme l’homme dans ses certitudes.

Certes l’homme doit apprendre à reconnaître le bien du mal, mais l’enseignement biblique dissocie les dénonciations vigoureuses et justifiées de l’injustice, des accusations « ad hominem » qui cherchent en fait la défaite et la mort de l’accusé. L’homme doit dissocier « le péché » et « le pécheur » et laisser à Dieu seul le jugement final. 

Le basculement de la représentation de Dieu d’accusateur en défenseur de l’homme, sera définitivement accompli après les psaumes quand Jésus pour sauver le monde du mal et de la violence, ira jusqu’à prendre la place de l’accusé, du pécheur, face à des accusateurs qui se présentent comme détenteurs de la vérité religieuse. Tout en condamnant le péché, Jésus vient pour sauver le pécheur. Il dira lui-même qu’il n’est pas venu pour accuser, car je ne suis pas venu juger le monde, je suis venu sauver le monde (Jn 12,47).

Il n’y aura pas de jugement pour qui écoute sa Parole.

En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie (Jn 5,24).

C’est ainsi que Jésus en récitant sur la croix le psaume 22, qui débute par la plainte de l’accusé et se termine dans la joie de la victoire sur l’accusateur, accomplit définitivement, par sa mort et sa résurrection, le renversement de la perception de la puissance du divin, puissance qui est celle du pardon, désormais intrinsèquement associé au don de la vie.  

En demandant sur la croix le pardon pour ses accusateurs, Jésus ne devient pas lui-même accusateur de ses accusateurs, il rompt ainsi le cycle infernal du mal.