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Prologue

Le livre de Qohéleth date du IIIe siècle avant notre ère, sous la domination des Ptolémées et sous l’influence de la culture grecque.

L’auteur de ce livre, Qohéleth, se présente comme fils de David, roi à Jérusalem, donc il ne peut s’agir que de Salomon. Mais bien sûr, il s’agit d’une fiction littéraire de l’auteur pour illustrer comment un homme, grand sage, ayant accompli de belles œuvres et connu gloire et richesse, finit désabusé. 

Qohéleth s’interroge sur le sens de la vie. Son constat global est d’un réalisme tranchant.

Vanité des vanités, dit Qohéleth, vanité des vanités, tout est vanité (Qo 1,2).


Il commence par mettre en cause le sens du travail.

Quel profit y a-t-il pour l’homme de tout le travail qu’il fait sous le soleil ? (Qo 1,3)

Il constate que tout est cyclique, et si tout revient comme avant à quoi bon se fatiguer ?

Un âge s’en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève et le soleil se couche, (…) le vent tourne, tourne et s’en va, et le vent reprend ses tours. Tous les torrents vont vers la mer, et la mer n’est pas remplie (Qo 1,4-7a).

Première partie: Qohéleth fait son autocritique

La quête de la sagesse qu’il a exercée toute sa vie est décevante, elle rend la vie encore plus douloureuse.

J’ai eu à cœur de chercher et d’explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. 

C’est une occupation de malheur que Dieu a donnée aux fils d’Adam pour qu’ils s’y appliquent (Qo 1,13). 

J’ai connu que cela aussi, c’est poursuite de vent. 

Car en beaucoup de sagesse, il y a beaucoup d’affliction; 

qui augmente le savoir augmente la douleur (Qo 1,17b-18).

La joie et le bonheur que l’on peut éprouver momentanément ne compense pas le sentiment de vanité de toute chose.
Je me suis dit en moi-même : « Allons, que je t’éprouve par la joie, goûte au bonheur ! »

Et voici, cela aussi est vanité. 

Du rire, j’ai dit : « C’est fou ! » 

Et de la joie : « Qu’est-ce que cela fait ? » (Qo 2,1-2)

Il revient longuement sur toutes les œuvres qu’il a accomplies sur la terre.

J’ai entrepris de grandes œuvres: je me suis bâti des maisons, planté des vignes ; je me suis fait des jardins et des vergers, j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers ; je me suis fait des bassins pour arroser de leur eau une forêt de jeunes arbres (Qo 2,4-6).

Mais je me suis tourné vers toutes les œuvres qu’avaient faites mes mains et vers le travail que j’avais eu tant de mal à faire. Eh bien ! Tout cela est vanité et poursuite de vent, on n’en a aucun profit sous le soleil (Qo 2,11).

Il ne faut donc espérer aucun avantage de sa sagesse.  

Alors, moi, je me dis en moi-même : 

Ce qui arrive à l’insensé m’arrivera aussi, 

pourquoi donc ai-je été si sage ? 

Je me dis à moi-même que cela aussi est vanité. 

Car il n’y a pas de souvenir du sage, pas plus que de l’insensé, pour toujours. Déjà dans les jours qui viennent, tout sera oublié (Qo 2,15-16a).

Certes, il concède que le sage vit mieux que le sot, mais au final leur sort est le même.

Voici ce que j’ai vu : On profite de la sagesse plus que de la sottise comme on profite de la lumière plus que des ténèbres. Le sage a les yeux là où il faut, l’insensé marche dans les ténèbres. Mais je sais, moi, qu’à tous les deux un même sort arrivera (Qo 2,13-14).

 

Il en vient à détester la vie car toute l’énergie qu’il a dépensée n’a servi à rien.
Eh quoi ? le sage meurt comme l’insensé ! 

Donc, je déteste la vie, 

car je trouve mauvais ce qui se fait sous le soleil : 

tout est vanité et poursuite de vent.

Moi, je déteste tout le travail que j’ai fait sous le soleil (Qo 2,16b-18a).

Le bilan est plutôt angoissant.

Oui, que reste-t-il pour cet homme de tout son travail et de tout l’effort personnel qu’il aura fait, lui, sous le soleil ? Tous ses jours, en effet, ne sont que douleur, et son occupation n’est qu’affliction; même la nuit, son cœur est sans repos: cela aussi est vanité (Qo 2,22-23).

 

L’homme n’a plus qu’à se replier sur les bonheurs simples que la vie de tous les jours peut lui donner. 

Rien de bon pour l’homme, sinon de manger et de boire, 

de goûter le bonheur dans son travail. 

J’ai vu, moi, que cela aussi vient de la main de Dieu (Qo 2,24).

Deuxième partie: réflexions philosophiques et morales

Il part alors dans une réflexion philosophique sur le temps, non pas le temps qui passe (chronos en grec) mais le temps opportun de la philosophie grecque (kairos). 

Il y a un moment pour tout 

et un temps pour chaque chose sous le ciel : 

un temps pour enfanter et un temps pour mourir, 

un temps pour planter et un temps pour arracher le plant, 

un temps pour tuer et un temps pour guérir, 

un temps pour saper et un temps pour bâtir, 

un temps pour pleurer et un temps pour rire (Qo 3,1-4a).

Tout en faisant référence au don de Dieu, il rejoint la philosophie d’Epicure sur l’importance de profiter des plaisirs de la vie. 

Je sais qu’il n’y a rien de bon pour lui que de se réjouir et de se donner du bon temps durant sa vie. Et puis, tout homme qui mange et boit et goûte au bonheur en tout son travail, cela, c’est un don de Dieu (Qo 3,12-13).

Son anthropologie n’est pas très valorisante pour l’homme.

La supériorité de l’homme sur la bête est nulle, car tout est vanité. Tout va vers un lieu unique, tout vient de la poussière et tout retourne à la poussière (Qo 3,19b-20).

Il voit bien que le travail est entaché par le désir de dominer. 

Je vois, moi, que tout le travail, tout le succès d’une œuvre, 

c’est jalousie des uns envers les autres : 

cela est aussi vanité et poursuite de vent (Qo 4,4).

Alors,

Mieux vaut le creux de la main plein de repos 

que deux poignées de travail, de poursuite de vent (Qo 4,6).

Il faut aussi se méfier de la pratique religieuse. 

Surveille tes pas quand tu vas à la Maison de Dieu, 

approche-toi pour écouter plutôt que pour offrir le sacrifice des insensés ; 

car ils ne savent pas qu’ils font le mal (Qo 4,17).

Il faut user de la parole avec précaution et parcimonie.

Que ta bouche ne se précipite pas et que ton cœur ne se hâte pas de proférer une parole devant Dieu. Car Dieu est dans le ciel, et toi sur la terre. Donc, que tes paroles soient peu nombreuses ! (Qo 5,1)

L’antidote de l’hubris, de la tendance de l’individu à se considérer comme le centre du monde, est la crainte de Dieu.

Quand il y a abondance de rêves, de vanités, et beaucoup de paroles, 

alors, crains Dieu (Qo 5,6).

Paradoxalement, la quête de la richesse est facteur d’instabilité et de soucis alors que l’ouvrier, lui, dort bien.

Qui aime l’argent ne se rassasiera pas d’argent, 

ni du revenu celui qui aime le luxe. 

Cela est aussi vanité. 

Avec l’abondance des biens abondent ceux qui les consomment, 

et quel bénéfice pour le propriétaire, sinon un spectacle pour les yeux ? 

Doux est le sommeil de l’ouvrier, qu’il ait mangé peu ou beaucoup ; 

mais la satiété du riche, elle, ne le laisse pas dormir.

Il y a un mal affligeant que j’ai vu sous le soleil :

la richesse conservée par son propriétaire pour son malheur (Qo 5,9-12). 

 

Il en revient toujours à sa conclusion qu’il faut profiter des petites joies de la vie qui nous sont données.

Ce que, moi, je reconnais comme bien, le voici: 

il convient de manger et de boire, 

de goûter le bonheur dans tout le travail que l’homme fait sous le soleil, 

pendant le nombre des jours de vie que Dieu lui donne, 

car telle est sa part (Qo 5,17).

 

Qohéleth ne partage pas l’opinion commune qui veut que vivre longtemps est un signe de bonheur. 

Soit un homme qui engendre cent fois et vit de nombreuses années, (…).

Même si celui-ci avait vécu deux fois mille ans, il n’aurait pas goûté le bonheur. 

N’est-ce pas vers un lieu unique que tout va (Qo 6,3 et 6).

 

De toute façon, le désir de l’homme n’est jamais pleinement satisfait. Il vaut mieux prendre de la distance que chercher à combler tous ses désirs. 

Tout le travail de l’homme est pour sa bouche, et pourtant l’appétit n’est pas comblé. 

En effet, qu’a de plus le sage que l’insensé, 

qu’a le pauvre qui sait aller de l’avant face à la vie ? 

Mieux vaut la vision des yeux que le mouvement de l’appétit: 

cela est aussi vanité et poursuite de vent (Qo 6,7-9).

Troisième partie: se prémunir du conformisme 

 Cette partie (7.1–12.7) débute par une série de réflexions qui relativisent toute chose sous la forme comparative, « Mieux vaut… que… ».

Mieux vaut aller à la maison de deuil qu’à la maison du banquet ;

puisque c’est la fin de tout homme (Qo 7,2).

Il souligne la relativité de la joie et du malheur.

Mieux vaut le chagrin que le rire, 

car sous un visage en peine, le cœur peut être heureux ; 

le cœur des sages est dans la maison de deuil, 

et le cœur des insensés, dans la maison de joie (Qo 7,3-4).

Le passé n’est pas plus beau que le présent.

Ne dis pas : Comment se fait-il que les temps anciens aient été meilleurs que ceux-ci ? 

Ce n’est pas la sagesse qui te fait poser cette question (Qo 7,10).

La sagesse elle-même est bien relative

Dans ma vaine existence, j’ai tout vu : 

un juste qui se perd par sa justice, un méchant qui survit par sa malice. 

Ne sois pas juste à l’excès, ne te fais pas trop sage ; pourquoi te détruire ? ( Qo 7,15-16)

Se considérer comme sage est une folie, car la sagesse est inaccessible à l’homme.

J’ai essayé tout cela avec sagesse, je disais : Je serai un sage. 

Mais elle est loin de ma portée. 

Ce qui est venu à l’existence est lointain et profond, profond ! 

Qui le découvrira ? (Qo 7,23)

La rétribution de la sagesse ne paraît pas évidente. 

Que le pécheur fasse le mal cent fois, alors même il prolonge sa vie (8-12a). 

Pourtant Qohéleth veut continuer à croire au bonheur pour ceux qui ont la crainte de Dieu.

Je sais pourtant, moi aussi, « qu’il y aura du bonheur pour ceux qui craignent Dieu, 

parce qu’ils ont de la crainte devant sa face, 

mais qu’il n’y aura pas de bonheur pour le méchant 

et que, passant comme l’ombre, il ne prolongera pas ses jours,

parce qu’il est sans crainte devant la face de Dieu » (Qo 8,12b-13).

 

L’impuissance de la sagesse est pour l’homme une leçon d’humilité.

l’homme ne peut découvrir l’œuvre qui se fait sous le soleil, 

bien que l’homme travaille à la rechercher, mais sans la découvrir; 

et même si le sage affirme qu’il sait, il ne peut la découvrir (Qo 8,17).

 

De toute façon, tout le monde terminera pareil. 

Tout est pareil pour tous, un sort identique échoit au juste et au méchant, 

au bon et au pur comme à l’impur, à celui qui sacrifie et à celui qui ne sacrifie pas ;

il en est du bon comme du pécheur, 

de celui qui prête serment comme de celui qui craint de le faire. 

C’est un mal dans tout ce qui se fait sous le soleil qu’un sort identique pour tous (Qo 9,2-3a).

Alors encore une fois profitons de la vie.

Va, mange avec joie ton pain et bois de bon cœur ton vin, 

car déjà Dieu a agréé tes œuvres. 

Que tes vêtements soient toujours blancs et que l’huile ne manque pas sur ta tête ! 

Goûte la vie avec la femme que tu aimes durant tous les jours de ta vaine existence, 

puisque Dieu te donne sous le soleil tous tes jours vains (Qo 9,7-9a).

 

Le malheur se joue de la logique humaine.

Je vois encore sous le soleil que la course n’appartient pas aux plus robustes, ni la bataille aux plus forts, ni le pain aux plus sages, ni la richesse aux plus intelligents, ni la faveur aux plus savants, car à tous leur arrivent heur et malheur. En effet, l’homme ne connaît pas plus son heure que les poissons qui se font prendre au filet de malheur (Qo 9,11-12a).

Cependant, même si elle est méconnue, la sagesse est tout de même préférable à la puissance.

Mieux vaut la sagesse que la puissance, mais la sagesse de l’indigent est méprisée et ses paroles ne sont pas écoutées. Les paroles des sages se font entendre dans le calme, mieux que les cris d’un souverain parmi les insensés. Mieux vaut la sagesse que des engins de combat, mais un seul maladroit annule beaucoup de bien (Qo 9,16-18).

Conclusion

Par ses réflexions sur la vanité des choses de ce monde, face à l’absurdité du monde, Qohéleth semble développer une philosophie matérialiste pessimiste et ses multiples appels à la jouissance peuvent paraître assez étonnants dans le corpus des livres de la Bible.

Pourtant il n’est pas un pur matérialiste, il partage la foi de son peuple.
Yhwh est le Créateur. 

Souviens-toi de ton Créateur aux jours de ton adolescence,

– avant que ne viennent les mauvais jours. (…) 

– avant que ne s’assombrissent le soleil et la lumière et la lune et les étoiles (Qo 12,1-2a).

Il a fait le monde beau 

Il fait toute chose belle en son temps; (…) sans que l’homme puisse découvrir l’œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu’à la fin (Qo 3,11).
Il a créé l’homme droit et libre mais l’homme complique tout.
Seulement, vois-tu ce que j’ai trouvé : Dieu a fait l’homme droit, 

mais eux ils ont cherché une foule de complications (Qo 7,29).

Par ses pensées, il veut dénoncer le conformisme des sages, les excès de toute idéologie, l’arrogance de toutes les certitudes, et prône un retour au bon sens, à la simplicité et à l’humilité. 

Le plus important pour l’homme, et en cela il s’inscrit bien dans la trajectoire biblique, est d’apprendre la crainte de Dieu

Fin du discours : Tout a été entendu. 

Crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là tout l’homme (Qo 12,13).

L’expression, la crainte de Dieu, s’enrichit progressivement dans l’itinéraire biblique. Elle regroupe toutes les étapes de la perception du divin dans l’histoire d’Israël, de la peur primitive du divin, à l’expérience d’une présence, au sentiment de confiance qui appelle la reconnaissance. Enfin, chez Qohéleth, elle est la condition même du développement de l’intelligence du réel.   

Il n’en reste pas moins que la question de la rétribution de la sagesse reste en suspens. En attendant, Dieu offre aux hommes un bonheur réel, bien que limité, dont ils doivent profiter et apprécier.

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